CHAPITRE VI

 

 

 

Malheureusement, Rubrik avait vu juste. Un coup frappé à leur porte à une heure indécente prouva que l’orage avait cessé – sinon à minuit, au moins avant l’aube. Karal sortit à regret de son cocon de couvertures. Par bonheur, les servantes n’apportaient pas seulement de l’eau pour qu’ils se lavent et une chandelle, mais un vrai petit déjeuner.

Je survivrai peut-être, pensa le jeune homme, après avoir mangé des œufs au lard, des tartines encore tièdes, du beurre et du miel, le tout arrosé de cidre bien frais.

Les repas pris à la sauvette, sur la route, ne lui profitaient jamais très longtemps, et il avait toujours faim longtemps avant que Rubrik ne décide de faire halte.

— Notre guide a dû oublier la quantité de nourriture dont a besoin un jeune homme, dit Ulrich en le regardant dévorer. Je me chargerai de le lui rappeler.

— Merci, maître Ulrich, répondit Karal. Non qu’il ne soit pas attentionné, mais…

— … Il est aussi éloigné que moi de l’âge où on dévore son poids chaque jour !

Karal se contenta de sourire, puis il alla se laver les mains et le visage, tout collants de miel. Les sucreries étaient une de ses rares faiblesses.

Je ferais bien de ne jamais devenir un véritable érudit, sinon je finirai par ressembler au coussin de Vkandis.

— Etes-vous sûr de pouvoir monter à cheval ? demanda-t-il à son mentor.

Ulrich se déplaçait lentement, un signe que ses articulations lui faisaient mal. Il n’était pas seulement du devoir de Karal de prendre soin de son maître, il en avait également reçu l’ordre.

Mais Ulrich l’ignorait, bien sûr.

Solaris avait convoqué Karal juste avant leur départ, pour lui faire promettre qu’il s’occuperait de son mentor. Un moment en compagnie de cette femme formidable, dont l’attention était exclusivement rivée sur lui, lui avait suffi. L’Œil de Vkandis lui-même ne pouvait pas être plus pénétrant que le regard de sa représentante sur terre ! Karal ne voulait surtout pas devoir lui apprendre qu’il était arrivé malheur à Ulrich.

— Oh, je survivrai, répondit le prêtre avec un soupir. (Puis il sourit tristement.) Ne t’inquiète pas tant, Karal. Ces douleurs ne sont pas le symptôme d’un mal dangereux.

Comme le novice continuait de l’observer en fronçant les sourcils, il grimaça et ajouta :

— Je te promets de demander à notre ami de faire halte si j’ai besoin de repos. Ça te va ?

— Je suppose qu’il faudra m’en contenter, répondit Karal, sur un ton aussi sévère – espérait-il – que celui d’un de ses professeurs. Je doute de pouvoir vous arracher une promesse plus raisonnable.

Ulrich le regarda, sourcils froncés.

— N’essaie pas d’imiter Ophela, mon garçon. Ça ne convient ni à ton âge ni à ton caractère.

Karal rougit et s’empressa de s’occuper de ses bagages. Non qu’il en ait beaucoup. Tout ce dont il aurait besoin à la cour avait été envoyé avec une caravane de marchands et devait déjà l’attendre à Haven. Ulrich ne voulait pas attirer l’attention en voyageant avec les chariots qui transportaient leurs affaires. Il leur aurait fallu des gardes et ils auraient eu les mêmes problèmes qu’avec une escorte pléthorique.

Par esprit de rébellion et de contrition, Karal empaqueta également les affaires de son maître. Ulrich se rembrunit, comprenant sans peine qu’il le croyait incapable de le faire lui-même.

Quand il eut tout rangé, Karal prit les sacs et s’écarta pour laisser passer son mentor. Comme d’habitude, Rubrik les attendait dans la cour. Cette fois, il était déjà sur son magnifique cheval blanc.

Karal attacha le sac d’Ulrich sur Abeille, puis le sien sur Trenor et s’empressa de monter en selle pour observer son maître. Ulrich se hissa sur sa mule sans trop d’effort. Peut-être s’inquiétait-il réellement pour rien…

Mais je n’ai pas envie de me présenter devant Sa Sainteté en ayant échoué. Mieux vaut prévenir que guérir, comme on dit.

Ils avaient déjà parcouru quelques lieues quand Rubrik amena son cheval à côté de la mule d’Ulrich et fit signe à Karal de les rejoindre.

— J’ai eu une intéressante conversation avec votre secrétaire, dit-il.

Impassible, il attendit la réponse d’Ulrich.

— Je sais. Il me l’a racontée…

— C’est ce que je pensais, répondit Rubrik. Votre supérieure et vous l’avez bien choisi. Je suis certain qu’il m’a seulement dit ce qu’il avait le droit de me révéler – sans me mentir, mais en omettant ce qu’il a reçu l’ordre de ne pas dévoiler.

Ulrich éclata de rire.

— Parfait, mon ami ! Et maintenant qu’il vous a mis en appétit – vous et votre supérieur –, vous venez me voir avec l’espoir d’en apprendre davantage. Car le jeune Karal ne pouvait pas entièrement satisfaire votre curiosité, puisque nous voulions que vous vous adressiez à moi.

Rubrik lui fit une révérence gentiment ironique.

— Maintenant que nous avons tous deux admis être trop malins pour les semi : vérités diplomatiques, permettez-moi de vous donner un point de départ : quelle a été la réaction des Karsites envers l’alliance après que nous eûmes vaincu Ancar ? Vous pouvez omettre tout ce que vous n’avez pas la liberté de me révéler.

— Oh, j’en ai bien l’intention, lâcha le prêtre. (Puis il hocha la tête et réfléchit un instant avant de répondre.) Beaucoup de Karsites pensaient que l’alliance ne survivrait pas à la fin de la guerre. Un certain nombre, mais pas la majorité, jugeait qu’elle n’avait jamais été une bonne idée. Mais soudain, l’armée de l’Empire a commencé à envahir Hardorn, en direction de Karse et de Valdemar.

— Oui. Ce fut une très mauvaise surprise.

A l’est, le ciel commençait à se colorer. L’aube serait superbe – ce qui ne laissait pas présager une chevauchée agréable. A Karse, pareil lever de soleil annonçait des orages. Karal n’avait aucune raison de penser que les règles avaient changé parce qu’il était de l’autre côté de la frontière.

— Nous ne savons pas plus de choses sur l’Empire que vous, continua Ulrich. Certains avaient fini par tenir les pouvoirs de l’empereur et la puissance de son armée pour des mythes. Et soudain, le voilà qui surgit à la tête d’une horde de soldats. Alors, nous avons découvert avec stupeur que rien ne se dressait entre nous et cet Empire capable d’engloutir des pays entiers… Nous n’avions rien à lui opposer… sinon notre ingéniosité et notre dieu… et une alliance insignifiante et pesante avec Valdemar.

— Une alliance qui n’est pas si insignifiante, ni si pesante, tout bien considéré, quand on fait le compte des troupes, répondit Rubrik.

Karal lui pardonna volontiers sa fierté presque enfantine.

— Il y a un autre aspect, dit Ulrich, après un court silence. Je parle de la crédibilité que l’apparition de l’Empire a apportée à Sa Sainteté.

Il fit signe à son secrétaire, qui fut ravi d’intervenir dans la conversation.

— Selon elle, Vkandis l’avait avertie d’un danger encore plus grand. Mais seul Ulrich et quelques autres prêtres l’ont crue, bien qu’elle soit le Fils du Soleil.

Il redouta d’en avoir trop dit. Le regard approbateur de son mentor dissipa vite ses craintes.

— C’est tout à fait ça, fit Ulrich. Aujourd’hui, elle apparaît comme un vrai prophète, car personne n’aurait pu prédire que l’Empire s’intéresserait à Hardorn – et aux pays qui s’étendent au-delà, peut-on présumer. Désormais, plus personne à Karse, ne doute d’elle.

Ce n’était pas tout à fait vrai, mais…

— Hélas, notre peuple est un peu sonné. Les gens ont du mal à se faire aux changements décidés par Solaris, mais il est évident, même pour ses détracteurs, qu’elle sait, au sens large du terme, ce qui doit être fait pour nous sauver. Il est clair que si ses instructions – ou plutôt celles que Vkandis nous fait passer par sa bouche – ne sont pas suivies à la lettre, Karse ne survivra pas aux attentions de l’Empire. Pour le peuple, c’est difficile. Pour ceux d’entre nous qui croient en Solaris, en notre terre et en notre dieu, c’est une reconnaissance longtemps attendue.

— Intéressant, répondit Rubrik. J’espère que ça ne vous dérange pas que je rumine ça un moment.

— Faites donc, dit Ulrich avec un petit sourire. Je suppose que vous aurez autant de difficultés avec les détails que certains Karsites.

Rubrik ne répondit pas. Karal était très satisfait. Son mentor avait donné plus d’informations à ce Valdernarien qu’il n’était capable d’en digérer.

Pour la première fois, Rubrik semblait croire que Solaris était le Fils du Soleil, pas une prêtresse dévorée d’ambition. Les Valdemariens auraient peut-être préféré avoir affaire à un Faux Fils – à condition qu’il promulgue des décrets en leur faveur. Karal n’était pas si naïf. Car une dirigeante dotée du vrai pouvoir de son dieu, c’était autre chose.

Mais Rubrik continuait peut-être à voir Vkandis comme une marionnette manipulée par les prêtres. Un point pour nous, pensa Karal.

Peu après, Rubrik revint avec d’autres questions. Mais pas sur la situation politique. Elles concernaient Ulrich. Peu à peu, Karal comprit ce que cherchait leur guide : il voulait savoir de quel bois était fait l’ambassadeur, et à quel point Solaris avait confiance en lui.

Il était souvent difficile pour le novice de deviner ce que pensait Rubrik. Mais il paraissait satisfait – et plutôt étonné de l’être. Il ne semblait pas s’être attendu à un duo comme Karal et Ulrich !

Karal trouva amusant de spéculer sur ce qu’il avait attendu. Un politicien chevronné comme le Faux Fils du Soleil, que seul son prestige et son pouvoir intéressaient ? Un ascète comme Ophela, n’ayant nul intérêt personnel, aveugle et sourd à tout ce qui n’était pas son dieu ou Karse ?

Tout au long de la matinée, les nuages avaient menacé de crever. A midi, quand ils s’arrêtèrent pour déjeuner, il devint évident qu’ils allaient au-devant d’un terrible orage.

Cette fois, Rubrik avait choisi une auberge décente, où s’arrêtaient une quantité raisonnable de voyageurs. Mais aucun ne fit attention aux deux prêtres en noir et à leur compagnon en blanc, car la plupart étaient uniquement préoccupés par leur repas.

Pendant qu’Ulrich et Karal terminaient leur bière, Rubrik sortit dans la cour pour étudier le ciel, puis regarda un moment son cheval dans les yeux. Finalement, il signala au garçon d’écurie de mettre sa monture, Trenor et Abeille à l’abri et rentra en boitillant dans l’auberge.

— Inutile d’essayer d’aller plus loin aujourd’hui, dit-il, visiblement contrarié. L’orage frappe entre ici et l’auberge où je comptais m’arrêter pour la nuit. Si seulement Elspeth avait plus de Hérauts-Mages… Le temps magique empire au lieu de s’améliorer.

Comment le sait-il ? se demanda Karal.

Rubrik n’avait parlé à personne. Mais une fine connaissance du terrain lui permettait peut-être de déchiffrer des signes qui échappaient à Karal.

— Je ne sais pas quelle est la situation ici, dit Ulrich, mais parfois, avec la magie, les choses doivent s’aggraver avant d’aller mieux.

— Pas le genre de choses que j’avais envie d’entendre…, soupira Rubrik. (Il se tourna vers les nuages, de plus en plus épais, et de plus en plus noirs, et secoua la tête.) J’espérais gagner un peu de temps…

— Pas aujourd’hui, mon ami, fit Ulrich. Si nous ne nous arrêtons pas ici, nous serons obligés de le faire très vite. J’ai peur que cette humidité ne convienne pas à mes vieux os.

Au fond de lui, Karal exulta. Ulrich tenait sa promesse !

Rubrik chercha l’aubergiste du regard.

— Bien, je vais voir s’il reste des chambres. Au moins nous sommes arrivés avant la cohue.

Il devait avoir raison, car il revint de bien meilleure humeur au moment où le garçon d’écurie apportait leurs sacs.

— Je crois que vous apprécierez cette étape, dit-il. Ça devrait racheter l’affront que nous a fait l’autre imbécile en louant nos chambres. (Il se tourna vers le garçon.) Emmenez-nous au Cottage des Bardes.

Leur guide les conduisit devant une porte, au fond du bâtiment. Karal fut surpris. D’habitude, ce genre d’issue était réservé aux serviteurs, alors pourquoi les avait-on amenés là ?

La porte ouverte, il vit la petite bâtisse reliée à l’auberge. Elle était censée ressembler à un cottage, mais aucun fermier n’avait jamais bâti quelque chose comme ça. On eût dit une maison de poupée, tellement elle était parfaite et colorée. Cette extension avait dû coûter autant que les trois autres bâtiments réunis. On dirait la vision que se fait un noble d’une fermette, pensa Karal en contemplant les moulures exquises, les bacs de fleurs aux fenêtres et la façade fraîchement repeinte.

— D’habitude, cet endroit est réservé, expliqua Rubrik. Les gens qui peuvent se le permettre en sont fous. Il y a une petite chambre pour chacun de nous, avec des lits dignes d’un prince, un salon accueillant et une salle de bains privée. Le dîner nous sera servi ici. Sans doute la meilleure façon d’attendre la fin de l’orage…

Les chambres étaient minuscules, mais les lits se révélèrent aussi moelleux que promis. Karal avait l’impression absurde d’être enfermé dans une maison de poupée. Nul doute qu’il pouvait devenir pénible, à la longue, pour trois adultes, de partager un espace si restreint.

Quand ils eurent fini de prendre leur bain, à tour de rôle, Karal dut convenir que Rubrik avait raison : l’endroit était idéal pour attendre la fin d’un orage !

Il était le dernier à s’être lavé. Quand il sortit de la salle de bains, une odeur alléchante de thé et de muffins chauds vint lui chatouiller les narines.

Karal gagna le salon, où une servante venait de déposer un plateau. Ulrich leva la tête en l’entendant arriver.

— Apparemment, l’aubergiste a plusieurs garçons de ton âge, dit-il. Son cuisinier t’a envoyé ça avant que Rubrik n’ait pu trouver une servante pour t’apporter un en-cas.

Rubrik se tourna pour regarder Karal.

— Votre maître m’a rappelé que les jeunes garçons ont toujours faim, et j’ai glissé un mot à l’oreille de notre hôte. Il a aussitôt saisi l’allusion.

Karal entra et s’assit dans le troisième et dernier fauteuil juste au moment où l’orage éclatait. Un coup de tonnerre fit trembler le cottage et une pluie torrentielle martela le toit. Karal fut bien content de ne pas être sur la route !

Les fenêtres du « cottage » étaient petites – un défaut pour regarder l’orage. En mangeant, le jeune homme se contenta donc d’écouter le tonnerre et la pluie. Heureusement, il avait toujours aimé contempler un feu de cheminée. Il serait agréable de passer une ou deux nuits ici. Ulrich avait besoin de repos et il pourrait en profiter pour lire un peu.

Rubrik ne voudra jamais s’arrêter si longtemps, décida-t-il en écoutant les deux hommes converser. Il veut arriver à Haven aussi vite que possible. Je me demande ce qui est si urgent…

C’était au tour d’Ulrich de questionner leur guide, qui répondait sans hésitation – une belle preuve de confiance.

Ulrich venait de lui demander – avec son tact habituel – comment il avait été blessé. Karal tendit l’oreille et oublia la pluie.

— Une… question intéressante, ambassadeur…

— J’espère que vous voudrez bien excuser mon impertinence, ajouta Ulrich, mais je ne peux m’empêcher de penser, puisque la cicatrice est récente, que c’est arrivé pendant la guerre contre Ancar. Alors, je me dis que c’est peut-être pour ça qu’on vous a chargé de nous escorter. Un détail de cette histoire pourrait expliquer que vous parliez si bien notre langue.

— Votre question n’est pas si impertinente… Les regards appuyés le sont bien plus ! Et vous avez deviné juste. Ça a bien quelque chose à voir avec ma présence ici… et avec ma connaissance du karsite. J’ai été blessé alors que j’essayais de protéger un de vos confrères. Ulrich hocha gravement la tête.

— Je me disais aussi que vous en saviez très long sur nous… (Il but une gorgée de thé.) Bien plus que vous n’auriez pu en apprendre d’un certain maître d’armes qui, nous le savons tous les deux, est au service de votre reine.

— Exact… (Rubrik sourit du coin des lèvres.) Votre confrère n’était pas particulièrement heureux que je le protège. Et je ne l’en blâme pas, car je n’étais moi-même pas ravi de ma mission. Nous avions conclu une sorte de trêve, mais nous ne nous faisions pas confiance.

Je n’en suis pas vraiment surpris, pensa Karal. Rubrik posa sa tasse.

— Nous nous en étions bien tirés jusque-là, mais notre groupe fut attaqué par une compagnie de soldats d’Ancar qui comptait plusieurs mages. Le prêtre se porta volontaire pour fermer la marche pendant notre retraite – j’ai trouvé ça très brave de sa part. Il comptait sur moi pour le protéger pendant qu’il utiliserait ses pouvoirs. Il commença à lancer un sort et devint incapable de bouger…

— Il était en transe, répondit Ulrich. Sans cela, beaucoup d’entre nous ne peuvent pas pratiquer la magie…

Rubrik toussa, reprit sa tasse et but.

— Oui, eh bien, la troupe se retira, mais nous ne suivîmes pas le mouvement, et personne ne s’en aperçut avant longtemps. Et puisque j’avais été désigné pour protéger cet homme, c’est ce que j’ai fait.

— Et ?

Rubrik eut une nouvelle quinte de toux.

— Nos ennemis étaient nombreux, et il ne restait plus que Laylan et moi. Je ne suis pas un mauvais combattant, mais Kerowyn non plus. Un adversaire perça ma garde au moment où la magie de votre confrère commençait à fonctionner. Au même moment, les gens de notre troupe se sont aperçus que nous étions restés en arrière et sont venus nous chercher.

— Un coup oblique ? Il a fait beaucoup de dégâts…

Rubrik frissonna malgré la chaleur du feu.

— J’ai été à un cheveu d’y passer. Le prêtre resta près de moi, avec Laylan, jusqu’à ce que les secours arrivent. Il était si reconnaissant qu’il alla chercher un autre prêtre pour me soigner, car aucun des guérisseurs valdemariens présents n’en avait la compétence.

« Grâce à lui, tout ce qui m’est resté d’une blessure qui aurait dû être fatale, c’est une paralysie partielle. Votre Prêtre-Guérisseur était un type bien. Il me traita comme si j’avais été karsite. Quant à mon « partenaire », il se répandit en remerciements. Dès lors, il a agi comme s’il croyait en notre alliance. C’est à ce moment que mon point de vue sur vous a changé.

Ulrich se resservit du thé et acquiesça.

— Et le sien sur les Valdemariens, je présume ?

— Je n’irai pas jusqu’à dire que nous étions les meilleurs amis du monde, mais nous nous entendions bien. Il était surpris qu’un Démon Blanc ait reçu une blessure presque fatale en le défendant et que le Cheval des Enfers ait veillé sur son maître et sur lui.

 Karal pâlit. Un Démon Blanc ? Un Cheval des Enfers ? Rubrik ?

Ulrich eut un grand sourire.

— Je n’en doute pas. A quelque chose malheur est bon, et…

— Si seulement ça ne m’était pas arrivé à moi, coupa Rubrik. Mais la vie d’un Héraut n’est pas censée être facile. Je devrais m’estimer heureux que le coup de hache ne m’ait pas fendu le crâne.

« Voilà, c’est pour ça que je suis votre guide et pas quelqu’un comme… disons, dame Elspeth. J’ai été assez impressionné par le revirement de votre confrère, et par le Prêtre-Guérisseur, pour demander à être chargé de toute mission concernant des prêtres du Soleil. Je voulais que l’homme qui vous accueillerait vous traite comme des êtres humains.

Héraut ? Démon Blanc ? Cheval des Enfers ? Oh, dieu…

Rubrik était un Héraut. Un Démon Blanc. Et le magnifique cheval que Karal admirait tellement… n’en était pas un du tout.

Le novice regardait le feu, pétrifié de stupéfaction.

Jusqu’à ce que la porte se referme derrière lui, il ne s’aperçut pas que Rubrik s’était excusé pour aller chercher quelque chose à l’auberge.

— Mon enfant, on dirait qu’on t’a flanqué un coup sur la tête, fit Ulrich. Tout va bien ?

Karal se leva, les jambes flageolantes, et regarda son mentor.

— N’avez-vous pas entendu ce qu’il a dit ? C’est un Démon Blanc ! Le…

— Je sais, je sais, répondit Ulrich. Je le savais depuis le début. Si l’uniforme du genre « je suis là, abattez-moi ! » ne suffisait pas, il y avait aussi le Compagnon…

— Et vous ne m’avez rien dit ! gémit Karal.

— Je pensais que tu savais ! Nous sommes à Valdemar, envoyés par Sa Sainteté. Les Hérauts sont les représentants officiels de leur reine, les seuls en qui elle ait toute confiance pour mener à bien les missions les plus délicates. Nous les avons toujours appelés les Démons Blancs. Je pensais que c’était logique.

Karal se contenta de regarder fixement son maître.

— Mais quand même, continua Ulrich, je m’excuse… J’aurais dû te le dire, tu as raison. Je ne devrais pas être surpris que tu n’aies pas reconnu notre ami… Comme base, tu n’avais que les ridicules descriptions des Chroniques. J’aurais dû te prévenir.

— Mais…, commença Karal, très agité, il…

— … reste le même homme qu’il y a quelques minutes, avant que tu ne connaisses sa véritable position à Valdemar. Il est toujours le même. Tu es toujours le même. La seule chose différente, c’est la manière dont tu le vois, et elle est inexacte.

Karal essaya de reprendre son souffle. En vain.

— Mais…

— Dévore-t-il des bébés au petit déjeuner ? demanda Ulrich.

Karal secoua la tête.

— Non, mais…

— Sa monture et lui soufflent-ils le feu ? Laissent-ils des empreintes de pas calcinées ?

— Non, mais…

— S’est-il jamais montré méchant envers nous ?

— Non, répondit Karal. Mais… (Il se rassit lourdement.) Je ne comprends pas…

Ulrich prit la tasse du jeune homme et la lui glissa entre les mains.

— Mon enfant, il a entendu sur notre sujet des histoires au moins aussi horribles que celles que nous avons entendues sur le sien. Le problème, c’est que dans notre cas, elles sont en partie vraies. Nous avions les Feux de Purification. Nous invoquions les démons pour faire des choses terribles, souvent pour les lâcher sur des personnes innocentes. Et pourtant il a la bonté de cœur de supposer que nous n’avons rien fait de tout ça.

« Qu’est-ce que ça te dit ?

— Que… qu’il est toujours l’homme dont j’appréciais la compagnie ce matin, répondit Karal, non sans difficulté.

Son esprit était lent et ses pensées semblaient peser des tonnes. Pourtant, il ne pouvait pas nier qu’Ulrich avait raison.

— Je te suggère de te détendre et de continuer à jouir de sa compagnie. Moi, j’en ai bien l’intention. En fait, après avoir entendu son histoire, je suis enclin à lui accorder tous les mérites que Sa Sainteté attribue aux Hérauts.

Mais… Karal serra sa tasse et regarda le thé fumant comme s’il pouvait y trouver des réponses. Ulrich avait raison : rien n’avait changé, sinon un mot.

Héraut. Ce n’était qu’un mot. Un nom… Karal, à une certaine époque, en avait reçu plus d’un.

Mais ça n’a jamais fait de moi un être méprisable.

Le mot « Héraut » en lui-même n’était d’ailleurs pas si terrible.

Ulrich avait également raison à propos du reste. Il n’avait jamais rencontré de Créature des Enf…

Un Héraut !

Il n’avait encore jamais rencontré de Héraut. Les descriptions des Chroniques étaient puériles... Un mélange de toutes les horreurs que les mères utilisaient pour faire peur à leurs enfants. Dans ces histoires, il n’était pas question d’un uniforme immaculé, comme celui de Rubrik, mais de lambeaux de tissus dégoulinants d’humeurs visqueuses.

Même si toutes les choses qu’il avait crues sur leurs anciens ennemis étaient fausses, il avait continué de penser que les Hérauts étaient des monstres.

Si on veut faire d’un ennemi quelqu’un qu’on puisse haïr, il faut commencer par lui retirer toute humanité… Etait-ce Ulrich qui lui avait dit cela ou l’avait-il entendu au cours d’un discours de Solaris ? C’était vrai, quel qu’en soit l’auteur. Les Chroniques avaient effectivement ôté leur humanité aux Hérauts. Ils n’étaient plus que des icônes, pas des individus. Ainsi, il devenait plus facile pour les fanatiques de les haïr.

Karal ne pensait pas être un fanatique, mais quel fanatique avait conscience d’en être un ?

Il lui faudrait un peu de temps pour s’habituer...

— Je crois que je vais aller… euh… méditer un moment, dit-il à son mentor, qui regardait le feu, l’air ravi.

Le prêtre agita paresseusement la main.

— Va. Tu as subi un choc, et tu as besoin d’y réfléchir. Je suis certain que ton nez te signalera que notre dîner est là – si ton estomac ne te le rappelle pas avant.

Karal posa sa tasse, se retira dans sa chambre et se demanda comment sa vie avait pu devenir à ce point compliquée.

Et comment il allait pouvoir en rassembler les morceaux.

Quand leur dîner fut servi, il n’avait pas réussi à faire la paix avec le concept « Rubrik alias le Démon Blanc, le Démon Blanc alias le Héraut ». Il mangea vite, écoutant la conversation de son maître et de leur guide, mais sans y participer.

Ulrich et Rubrik ne semblèrent s’apercevoir de rien.

— Vous êtes bien pâle, fit le Héraut, alors que Karal finissait son dîner. Si vous êtes malade, dites-le-moi. Nous sommes dans une ville de bonne taille, et il y a des guérisseurs. A moins que vous ne préfériez un Prêtre-Guérisseur – il y en a au Temple du Dieu du Soleil…

— Ah, j’avais justement l’intention de vous parler de ça, dit Ulrich. Plus tard, si vous voulez bien…

— Ce n’est rien, messire, mon maître sait de quoi il s’agit, répondit Karal d’une voix rauque. (Puis il ajouta, pour ne pas paraître trop impoli :) Un banal mal de tête. Je vais aller me coucher.

Il s’enfuit avant que Rubrik ait pu lui poser d’autres questions. Au creux de son estomac, son repas pesait comme une boule d’argile humide. Il avait dû être excellent, mais il l’avait englouti trop vite pour le savourer.

Karal passa une partie de la nuit à regarder le plafond sans pouvoir trouver le sommeil. Les murmures qui lui parvenaient de la pièce voisine étaient inaudibles, car noyés par la pluie. Il ne pouvait tout simplement pas faire face à ce qu’il avait appris… Comment pourrait-il se comporter normalement avec Rubrik ?

Finalement, le martèlement de la pluie et le moelleux de sa couche le firent sombrer dans un sommeil sans rêve.

Le lendemain matin, il se sentit vraiment stupide. Il resta allongé un moment dans son lit, penaud, se demandant pourquoi la « révélation » lui avait paru si dure à avaler, la veille. Ulrich avait raison : Rubrik était toujours le même homme… Et les Hérauts, tels que les Chroniques les décrivaient, ne pouvaient pas être réels. Après tout, Solaris avait prouvé que bien des choses qui avaient « toujours été vraies » ou qui incarnaient la « volonté de Vkandis » étaient des mensonges…

Karal se leva et alla au salon, où il retrouva Ulrich. Son maître semblait d’excellente humeur, sans doute parce que ses articulations ne le faisaient plus souffrir. Les portes et les fenêtres étaient ouvertes pour laisser entrer la brise. Le petit déjeuner attendait sur la table. Rubrik n’était nulle part en vue.

L’orage n’avait laissé aucune trace, le matin étant aussi brillant qu’une pièce nouvellement frappée. L’air était si pur que respirer devenait un plaisir. D’autant plus que Rubrik n’avait pas envoyé un serviteur les réveiller, attendant pour cela le lever du soleil. Après un excellent petit déjeuner, ils rejoignirent leur guide dans la cour.

— Ça va mieux ? demanda Rubrik à Karal, alors que le garçon d’écurie amenait Trenor, le tenant pour que le jeune homme puisse monter.

— Oui, merci, messire…

— Bien. J’ai eu un peu mal à la tête, moi aussi, à cause de l’orage magique. On dit que les personnes douées de magie de l’esprit y sont sensibles.

Il étudia Karal, qui haussa les épaules, ne comprenant pas de quoi il parlait.

— Oui, mais cela explique-t-il mes articulations douloureuses ? demanda Ulrich, taquin. Je n’entends pas les pensées avec mes genoux !

Rubrik rit de bon cœur.

— Une excellente question ! Et qui prouve que ce « on » nébuleux est probablement aussi stupide que les choses qu’« on » dit.

Sur cette note joyeuse, Rubrik donna le signal du départ sous un soleil radieux.

C’était un excellent présage pour la suite. Au cours de la matinée, Karal réussit à chasser les doutes qui lui restaient. Le Héraut et Ulrich avaient dû beaucoup parler, car ils se comportaient comme de bons amis.

Plaît-il ? pensa Karal, étonné. Ulrich n’avait jamais été ami avec quiconque. Et pourtant, il y avait entre eux une complicité qui devait être de l’amitié.

Ulrich l’a respecté dès notre rencontre… Après, il y a eu entre eux une sorte de… fraternité… Quelque chose qu’il aurait pu partager avec un des capitaines de l’armée, par exemple – un homme digne de respect, intéressant et intelligent, avec qui il ait des points communs. Là, c’est différent. Je ne sais pas pourquoi, mais ça l’est. Ulrich semble plus heureux, plus ouvert, et le ton de sa voix est plus chaleureux que de coutume, quand il est en compagnie d’étrangers.

Il s’avisa que Rubrik faisait de gros efforts pour l’inclure dans leur conversation. A son grand étonnement, il s’avisa qu’il commençait à se détendre. Le Héraut lui rappelait beaucoup son oncle préféré – garde dans une caravane marchande, il avait toujours des histoires à raconter.

Rubrik commença par leur décrire certains des « étrangers » qu’ils côtoieraient à la cour. En d’autres circonstances, Karal ne l’aurait sans doute pas cru. Mais quel intérêt le Héraut aurait-il eu à leur mentir ?

S’il disait la vérité, alors… certains de ces étrangers n’étaient pas humains…

Ulrich n’eut pas l’air surpris, tandis que le Héraut leur décrivait les créatures les plus étranges dont Karal ait jamais entendu parler. Avec leurs costumes exotiques, leurs oiseaux-liges et leurs longs cheveux blancs, les Frères du Faucon étaient déjà difficiles à imaginer. Mais les griffons – Treyvan, Hydona et leurs deux petits… Ce dernier point convainquit Karal que Rubrik ne se moquait pas d’eux. S’il avait voulu leur jouer un tour, ce détail aurait été superflu. Deux griffons adultes étaient bien suffisants !

— On m’avait averti, dit Ulrich, laconique. Après tout, plusieurs de nos prêtres ont travaillé avec les griffons, dont une jeune dame qui en a retenu une leçon de… hum…

— Coopération, suggéra Rubrik avec un sourire ironique.

— Je songeais à « humilité », mais « coopération » fera l’affaire, répondit Ulrich, une lueur amusée dans le regard. Karal, tu dois te souvenir d’elle. Vous avez eu des cours ensemble. Gisell.

— Gisell ? Humilité ?

Ces deux mots n’allaient tout simplement pas ensemble ! Gisell était une des nobles les plus fières qu’il ait eu le malheur de rencontrer. Rien ne pouvait lui faire oublier son lignage.

Rubrik rit aux éclats.

— Un griffon peut couper un homme en deux et se repaître de ses jambes sous les yeux de la moitié restante. Alors quand l’un d’eux dit que vous travaillerez avec le fils d’un porcher et que vous aimerez ça, vous apprenez très vite à être humble.

— Si Gisell a pu assimiler ça, je veux bien croire à l’existence des griffons, répondit Karal, provoquant l’hilarité de son maître et de leur guide.

— Les griffons sont aussi réels que Laylan, mon Compagnon, dit Rubrik. Et ce ne sont pas des monstres non plus.

Le dilemme « Rubrik alias le Héraut » avait relégué au second plan les questions au sujet de son cheval… ou plutôt, de son Compagnon. Les légendes karsites regorgeaient de détails concernant les montures des Hérauts ! Maintenant, il s’expliquait enfin son comportement exemplaire.

Laylan n’était pas un cheval. C’était évident.

Ce n’est pas un monstre… Mais il ne peut pas être magique comme sont magiques les oiseaux des Frères du Faucon. Même si nous appelons les Compagnons « Chevaux des Enfers ».

Mais alors, qu’est-il donc ?

S’il se retint de poser la question, elle l’agaça comme une piqûre d’insecte qu’on ne peut pas gratter. Laylan sembla deviner qu’elle le tourmentait, car il ne cessa pas de le regarder. Jusque-là, l’ayant pris pour un animal, Karal ne s’était aperçu de rien. Mais Laylan les dévisageait souvent, Ulrich et lui. En un sens, il semblait participer à la conversation.

Finalement, il ne put tenir plus longtemps.

— Messire ? Votre… Laylan… qui est-il vraiment ?

Rubrik cligna des yeux, surpris par la question et se tourna sur sa selle.

— Eh bien… La meilleure explication, c’est que les Compagnons sont des esprits qui habitent dans des corps mortels. Un peu comme les griffons, sauf qu’ils choisissent de s’allier avec les Hérauts pour aider Valdemar. Nous croyons qu’ils ont pris l’apparence de chevaux parce qu’ils n’attirent pas l’attention.

— Ah ! (L’exclamation de compréhension ravie d’Ulrich les surprit.) C’est la meilleure explication que j’ai entendue sur l’apparence de vos Compagnons. Mais il me semble qu’elle n’est pas sans inconvénients…

Rubrik renifla dédaigneusement, imité par Laylan.

— Redites-moi ça après l’avoir vu charger ! Il n’est plus qu’une masse de muscles et de sabots, mon ami, et il sait comment se servir des uns et des autres ! Dans un combat, je le préfère à vingt hommes armés. (Inclinant la tête, il ajouta, l’air pensif :) Je trouve étrange que les Karsites n’aient rien qui ressemble à nos Compagnons. Votre Vkandis étant toujours occupé à…

Il rougit et ne termina pas sa phrase. Mais Ulrich sourit.

— Fourrer son nez divin dans nos vies, c’est ce que vous alliez dire ? (Rubrik tressaillit, mais le prêtre le rassura.) Inutile de vous excuser. Sa Sainteté elle-même a déjà fait des remarques de ce genre. En fait, Vkandis peut se manifester de deux manières à nos prêtres ordinaires. L’ennui, c’est que l’une d’elles est facile à imiter.

Il jeta un regard interrogateur à Karal.

— La Voix de Flamme ? répondit le novice, interprétant ce coup d’œil comme une invitation à prendre la parole.

Ulrich acquiesça.

— Bien, tu te souviens de ce que je t’ai appris. (Il se tourna de nouveau vers le Héraut.) La Voix de Flamme est un halo de feu qui apparaît au-dessus de la tête d’un prêtre et parle par sa bouche. C’est la plus fréquente manifestation de la Volonté de Vkandis. Mais puisque les prêtres sont souvent des mages, vous comprendrez qu’il nous est facile de la simuler.

— Personne ne peut tricher avec un Compagnon...

— Justement, coupa Ulrich. Vkandis a une autre manière de se manifester, impossible à contrefaire celle-là, mais qui n’était plus qu’une légende – jusqu’à ces derniers temps. Il me semble que nos Chats de Feu sont très semblables à vos Compagnons.

— Des Chats de Feu ? (Rubrik secoua la tête.) Je n’en avais jamais entendu parler.

— Comme presque tout le monde, dit Karal. Jusqu’à ce que l’un d’eux apparaisse au côté de Solaris, même nos prêtres doutaient de leur existence !

— Un chat ? Comment un chat ordinaire…

— Pas plus que votre Laylan n’est un cheval ordinaire, mon ami, dit Ulrich. D’abord, il y a leurs couleurs… Ils sont crème avec les oreilles, les pattes, la queue et le museau rouges. De plus, comme vos Compagnons, ils ont les yeux bleus. Et pour finir, ils sont énormes – de la taille d’un mastiff. Oh, et ils parlent.

— Ils parlent ? fit Rubrik, incrédule. Attendez... vous voulez dire qu’ils Parlent par l’Esprit ?

— D’esprit à esprit, oui, confirma Ulrich. Mais ils peuvent s’adresser à qui bon leur semble, alors que je me suis laissé dire que vos Compagnons ne parlent qu’à leur Héraut attitré.

Le Valdemarien acquiesça.

— Depuis toujours, continua Ulrich, les Chats de Feu apparaissent aux moments décisifs. Pas seulement au Fils du Soleil, mais à toute personne qui joue un rôle important dans ces événements. Par le passé, le Fils du Soleil était toujours accompagné d’un ou deux Chats de Feu. (Ulrich haussa les épaules.) Je crois que cela a cessé à l’époque où les Feux de Purification ont commencé. Depuis, selon moi, il n’y a pas eu une seule véritable manifestation de la Voix de Flamme – au moins, pas parmi les prêtres des grandes cités. Jusqu’à récemment…

Rubrik se redressa autant que le lui permettait son infirmité.

— Vous voulez dire que…

— J’ai entendu Sa Sainteté parler avec ce que je crois être la vraie Voix. Plus important, Solaris a un Chat de Feu. Il dit se nommer Hansa – le nom d’un des plus anciens Fils du Soleil. Même un démon ne pourrait se faire appeler ainsi impunément. Non seulement on l’a vu avec Solaris, mais il est apparu peu de temps après la disparition du Faux Fils. (Il hocha la tête en voyant Rubrik plisser les yeux.) Oui, sa venue a confirmé la légitimité de Solaris aux yeux de la population. Mais si vous avez encore des doutes, sachez que je tiens de Solaris – et de l’esprit d’Hansa – que c’est sur son conseil que le Héraut Talia a été fait Prêtresse du Soleil honoraire, pour sceller notre alliance.

La bouche de Rubrik s’arrondit de surprise. Mais Ulrich n’avait pas encore terminé.

— Tous les Chats de Feu ont prétendu porter les noms d’anciens Fils du Soleil. Nous avons toujours pensé que leurs esprits adoptent une forme physique pour nous guider et nous conseiller. (Il jeta un coup d’œil à Laylan, qui lui retourna son regard, puis battit des cils.) Apparemment, ils sont exactement comme vos Compagnons, en moins nombreux. Sans doute parce qu’il y a eu moins de Fils du Soleil que de Hérauts.

Ce fut au tour de Rubrik d’avoir l’air sonné. Laylan lâcha un petit hennissement.

— Bien sûr…, souffla le Héraut. C’est évident.

Apparemment, cette idée ne lui était jamais venue.

L’étonnement de Rubrik était si sincère que Karal faillit gaffer en demandant : « Vous voulez dire que ça ne vous avait jamais traversé l’esprit ? » Il se retint juste à temps.

Primo, ç’aurait été terriblement grossier et Ulrich aurait eu tous les droits – et même le devoir – de le renvoyer à Karse sur-le-champ. Un diplomate ne posait pas ce genre de question.

Secundo…

Il est possible que les Compagnons aient empêché les Hérauts de deviner la vérité. Seuls les prêtres savaient ce qu’étaient vraiment les Chats de Feu. Le peuple voyait en eux une manifestation de Vkandis. Et il ignorait que les Chats s’adressaient aux prêtres. Après tout, s’ils détenaient la Voix, quel besoin avaient-ils d’un félin parlant ?

Plusieurs raisons justifient le silence des Compagnons au sujet de leur passé de Hérauts, décida Karal après quelques minutes de silence propice à la réflexion.

JJ y avait jadis eu une tentative d’assassinat contre un Chat de Feu, perpétrée par le traître qui avait tué le Fils du Soleil du même nom.

Bien sûr, il a échoué. Les Chats de Feu savent se défendre. Et on raconte que le félon a fait un excellent combustible pour un feu de joie.

Il devait sûrement exister des gens qui seraient très mécontents que certains Hérauts réapparaissent après leur mort. Et les Compagnons, contrairement aux Chats, pouvaient être tués.

Et même un Karsite sait que si on tue un Cheval des Enf… un Compagnon… on abat son Héraut du même coup.

Sans compter de probables conflits moraux parmi les Hérauts. Que ressentirait un être aimé, sachant que le défunt cher à son cœur pourrait revenir s’il le voulait – bien que sous une autre apparence ? Qu’il le fasse ou pas, cela risquait d’être une torture…

Pendant qu’il réfléchissait, Karal surprit Laylan en train de le regarder par-dessus son épaule… Quand leurs yeux se croisèrent, le Compagnon hocha imperceptiblement la tête, comme s’il connaissait ses pensées.

On dirait qu’il peut lire dans mon esprit…

Une fois de plus, il se pétrifia, stupéfait.

Comme Hansa ! Les Chats sont comme les Compagnons…

Laylan hocha de nouveau la tête.

Une seule idée réussit à émerger de l’esprit de Karal, troublé jusqu’aux tréfonds de l’âme.

Si les Chats sont comme les Compagnons, alors nous ne sommes pas si différents de nos anciens ennemis…

Sur sa vie, il n’aurait su dire si c’était une découverte réconfortante.

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